mardi 4 décembre 2007

L’idéal universitaire de Bernard Belloc, penseur de la réforme LRU

Commentaires de l’entretien accordé au Nouvel Observateur (Universités : les trois de l’excellence, entretien de Bernard Belloc avec Patrick Fauconnier, n° 2246, 22-28 novembre 2007, p. 50-52)

Dans le dernier numéro du Nouvel Observateur, Bernard Belloc, conseiller auprès de Nicolas Sarkozy sur la question des universités (et auteur en octobre 2003 d’un influent rapport sur le sujet, réalisé à la demande de Luc Ferry), a accordé un entretien dont le grand mérite est d’expliciter, non le détail de la loi « Libertés et responsabilités des universités », mais les retombées que l’un de ses principaux instigateurs en attend. En écho avec les déclarations faites par la Ministre Valérie Pécresse qui a présenté cette loi devant l’Assemblée Nationale, cet entretien permet de dessiner le futur visage de l’université française à l’issue de l’application d’une réforme s’inscrivant dans le prolongement du processus de Bologne et dont elle constitue, en quelque sorte, l’aboutissement logique et le couronnement. Or, c’est bien de cette feuille de route dont nous avons besoin afin de mesurer les attentes du gouvernement et de se faire une idée des résultats auxquels il souhaite parvenir : celle d’un remembrement de l’enseignement supérieur français permettant de faire émerger, parmi les quatre-vingt cinq établissements universitaires que compte aujourd’hui notre pays, dix "universités de recherche" répondant à des standards internationaux.

Parvenir à renouveler de la sorte le paysage des universités françaises ne peut se faire sans sacrifices et il faut donc se résoudre à considérer que ce qui est souvent qualifié, non sans malice, d’« autonomie des universités », soit le moyen choisi pour que s’opère le tri entre toutes et pour que s’exerce une concurrence acharnée entre celles prétendant appartenir à ce groupe d’élite. Toutefois, Bernard Belloc se défend de l’instauration d’une université à deux vitesses. A l’instar du modèle californien, il plaide plutôt en faveur d’une complémentarité des établissements entre eux : certains (les plus nombreux) auront en charge la formation des premiers cycles (Licence), d’autres (un peu moins nombreux) prendront le relais en second cycle (Master), les troisièmes parachevant l’œuvre au niveau du Doctorat. En fait, cette fusée à trois étages a peu de chances de faire un long voyage dans le ciel français : dans la plupart des filières, le lien est trop fort entre le Master et le Doctorat pour imaginer qu’une délocalisation de ces deux cycles puisse réellement fonctionner, sauf en ce qui concerne les Master à destination exclusivement professionnelle, lesquels peuvent en effet ne pas être adossés à une école doctorale (mais ces Master-Pro sont, de toute façon, déjà menacés). Il est vrai que, pour la communauté universitaire, cette question des Master est délicate et l’on comprend les précautions prises par Bernard Belloc à son égard : les universités viennent à peine de les mettre en œuvre et beaucoup d’efforts ont été consentis dans cette réforme d’envergure pourtant réalisée à moyens constants. Il peut donc légitimement craindre l’agacement de nombreux enseignants face à la perspective de voir disparaître un grand nombre de ces filières dans un proche avenir. Cependant, si l’on suit son raisonnement, le tri parmi elles est inéluctable et il faut envisager que, à termes, les universités se répartissent en un certain nombre de centres universitaires, consacrés à la formation en Licence, et dix universités de recherche qui offriront des cycles longs. Les premières auront trois ans, le temps de la Licence, pour développer une professionnalisation de la majeure partie de leurs étudiants. Sans doute est-ce d’ailleurs par cette voie, si toutefois ces universités parviennent à se créer une « niche » de spécialité (pour reprendre les termes de cet entretien) parmi leurs filières actuelles, qu’elles pourront conserver un cycle long, intégrant la poursuite de certains de leurs propres étudiants en Master puis, éventuellement, en Doctorat. Les autres étudiants seront sensément aptes à intégrer le marché du travail après trois ans passés sur les bancs de ces universités, un petit nombre se voyant proposer d’intégrer l’une des universités de recherche afin de poursuivre leur formation.

Effectuons un rapide calcul : que représente, concrètement, la mise en place de dix universités de recherche ? Si l’on admet que la moitié d’entre elles seront à Paris ou dans sa proche périphérie – il est probable en effet que la capitale détienne un pôle d’excellence dans chacun des grands domaines que sont les mathématiques, les sciences de la terre et du vivant, les lettres et les sciences humaines, le droit et l’économie, la médecine, etc. – cela laisse au mieux cinq universités d’élite pour le reste du territoire français. En d’autres termes, même les dix plus grandes villes de notre pays ne peuvent être assurées de détenir une université comportant des filières longues, répondant aux critères internationaux de l’enseignement supérieur et de la recherche. Voici, d’ores et déjà, l’une des conséquences les plus importantes de cette réforme, revenant, au nom de la compétitivité et de la lisibilité internationales, sur plusieurs décennies de politique d’aménagement du territoire et de lutte contre le fameux « Paris et le désert français » !

Un autre aspect mérite d’être souligné : jusqu’à présent, l’esprit de l’enseignement universitaire réside dans la dimension de recherche dont il est doté et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle les étudiants trouvent face à eux, et ceci dès la première année de Licence, des enseignants qui sont également des chercheurs. Cela ne signifie pas que la vocation unique de l’université soit seulement de préparer les étudiants à entreprendre un cycle long, au mépris de tout autre débouché, mais que l’enseignement reçu par chaque étudiant, quelle que soit sa durée, intègre cette dimension de recherche. Voici la marque de fabrique de l’université, son idéal pédagogique : le développement d’un esprit critique qui est fait, lui, de liberté et de responsabilité, une conviction qu’il n’est de connaissances qui ne soient le fruit d’un cheminement intellectuel. Cet idéal, seul un cercle restreint d’universités en sera porteur à l’avenir et Bernard Belloc est d’ailleurs très clair sur les futures attributions des formateurs auxquels les étudiants seront confiés : certains enseignants, en fait la majorité, seront spécialisés dans l’aide à la réussite en Licence. Ceci signifie qu’ils seront peu ou prou coupés de la recherche, laquelle débute de façon concrète en Master et, qui plus est, dans son esprit, au sein d’autres universités. Ces dernières, précisément dites de recherche, demeureront les seules habilitées à accueillir des enseignants dotés des moyens de la pratiquer. De telle sorte qu’il n’y aura donc pas, en effet, des universités à deux vitesses. Il y aura dix universités, au sens où l’on entend encore ce mot aujourd’hui, et un ensemble de collèges d’enseignement supérieur.

Alors, nous direz-vous, pourquoi certains universitaires, parfois parmi les plus prestigieux, s’expriment-ils en faveur de cette réforme ? Pensent-ils que Bernard Belloc se trompe lorsqu’il émet de telles attentes vis-à-vis de son application ? Peut-être, mais sans doute pensent-ils avec lui que les sacrifices que comporte cette réforme sont le prix à payer afin d’assurer notre rayonnement international. Qu’elle est indispensable afin de faire se rencontrer l’université et la société telle quelle est aujourd’hui, ou du moins telle qu’on la croit être. Et tant pis si la plupart des étudiants penseront être à l’université alors que celle-ci leur échappera dans son essence — et aussi, tout simplement, parce que l’université, la vraie, sera désormais souvent loin de chez eux. Quoiqu’il en soit, dans l’esprit de ceux qui défendent cette réforme, le constat est dressé que le pari d’une université ouverte à tous, tel que la France l’avait fait depuis plusieurs décennies, est perdu. Nous n’aurions plus les moyens de cet idéal. Pourtant, cette question des moyens est avant tout le reflet de choix politiques, ce que Bernard Belloc exprime à sa manière lorsqu’il déclare que "ce n’est pas l’argent qui fait les projets mais les projets qui font venir l’argent". Mais ne nous méprenons pas, dans le vocabulaire d’aujourd’hui, la culture de projet et l’idéal de la culture sont deux choses bien différentes.

François Bon (maître de conférences, université de Toulouse-II),
Sandrine Costamagno (chargée de recherche, CNRS), et
Nicolas Valdeyron (maître de conférences, université de Toulouse-II)

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