par Jacques Maillard, SNCS
Un obstacle actuel est le statut des chercheurs et enseignants-chercheurs, le code de l’éducation, la loi de 84 qui garantit "totale liberté d’expression et autonomie pour les chercheurs dans le cadre de leur recherche" (article 57).
Un obstacle actuel est le statut des chercheurs et enseignants-chercheurs, le code de l’éducation, la loi de 84 qui garantit "totale liberté d’expression et autonomie pour les chercheurs dans le cadre de leur recherche" (article 57).
Comme beaucoup d’autres, cet obstacle sera pulvérisé par les injonctions de Bruxelles. Car la loi LRU est en réalité une adaptation aux directives à prévoir.
Le traité institutionnel (voir "traité de Lisbonne" sur le site de l’Union européenne) reprend textuellement en ses articles 137 et 138 le texte des articles 253 de la "constitution" giscardienne rejetée par le peuple. Ces articles instaurent la possibilité pour l’Union de faire des "directives" pour "construire l’espace européen de recherche", donner des "orientations, mettre en place des indicateurs", faire la "surveillance", imposer les "bonnes pratiques"... de la recherche.
Pour avoir une idée du genre de directives auxquelles il faut nous attendre, il suffit de regarder la "recommandation" et la "charte des chercheurs" qu’elle introduit, de cette même commission européenne. La charte oblige (ceux qui, "volontairement", la signent) à s’assurer avant toute publication que sa hiérarchie et son "bailleur de fonds" sont d’accord. De même, avant de commencer ou de stopper une recherche. Demain, la recommandation deviendra directive et ce sera obligatoire : l’article 57 sera "de facto" aboli dès que, grâce à la ratification du traité de Lisbonne, la commission aura pu transformer cette recommandation en directive.
Remarquons que dans ce traité la commission garde l’exclusivité de la proposition de loi, violant les principes de séparation et d’équilibre des pouvoirs, et que, dans des "compétences partagées", c’est elle qui fixe ce qu’elle partage.
Ceci aura pour effet d’annihiler le jugement "par les pairs" sur une base strictement scientifique des chercheurs, car leurs publications et leurs travaux pourront être interdits par la hiérarchie : si les travaux sont secrets, qui est garant de la qualité scientifique ?
En parallèle, la libre disposition du patrimoine (immeubles, brevets, cours, logo...) par les présidents doit être associée au dispositif "Risk Share Financing Facility", introduit pour le 7ème PCRD. Ce dispositif incite les centres de recherche et d’enseignement supérieur à largement s’endetter, grâce à la "Banque Européenne d’Investissement", qui exigera l’hypothèque sur le marché international de ce patrimoine. Pour les statuts de cette banque, voir le même traité : avec un capital de départ de 168 milliards d’euros et des statuts très intéressants, "tout y est possible", selon la formule de notre président. Au lieu de donner des crédits d’Etat, on obligera les unités à faire des contrats avec objectifs et endettement adéquats. Il est prévu que les fonds levés par endettement soient six fois plus importants que ceux investis par les Etats.
L’espace européen de la recherche est vu comme un grand marché, avec des "opérateurs" de recherche (donc publics ou privés), des agences de financement (ANR par exemple), des agences d’ "évaluation" (AERES), qui doivent noter les projets, les unités (comme les agences de notation financière qui viennent de se glorifier sur le marché des surprimes US). Les chercheurs et enseignants-chercheurs ne sont pas, pour le moment, évalués par cette agence, uniquement pour ne pas affoler les personnels. Mais il est clair que le système mis en place détruit à court terme le système d’évaluation du comité national et du CNU. En effet, comment noter les personnels en ignorant les unités et vice-versa ? Pour l’instant, seul le privilège d’évaluation de ces unités a été enlevé au Comité national du CNRS.
De surcroît, le recours massif au CDD fait que les jeunes ne peuvent même pas s’appuyer sur les anciens statuts.
Dans un tel cadre "concurrentiel", à terme, toute action d’un chercheur, d’un enseignant, d’une université ou d’un laboratoire qui ne s’inscrit pas dans cette logique marchande pourra être attaquée par les "opérateurs" concurrents pour "distorsion de concurrence" (toujours existante mais cachée dans le corps du traité). Tout chercheur ne respectant pas la "propriété intellectuelle" de son "maître", sera puni par le licenciement, voire de lourds dommages et intérêts...
Cette privatisation de l’université s’inscrit dans un grand mouvement de privatisation que l’Europe impose au prétexte de réduire la dette. Il faut donc brader les actifs (par exemple les locaux des universités, comme ceux de la poste, des gares de triages, etc...) et réduire les dépenses. Je vous invite à lire le rapport de l’INSEE 1057 sur le patrimoine de la France en 2003. Ce document montre que la dette de l’Etat n’est qu’un prétexte pour privatiser les recettes, au profit des oligarques, et pour réduire les travailleurs du public comme du privé en quasi-esclaves. Il n’y a pas de limite aux attaques contre les droits et les créances des travailleurs. Dans "Thalburg, petite ville nazie", l’écrivain américain Allen décrit comment toute résistance et tous les syndicats de cheminots furent détruits en 1932 en Prusse, seulement par la menace du licenciement, la direction des chemins de fer ayant uniquement changé le contrat de travail permanent des salariés en contrat sans condition de licenciement autre que le bon vouloir du patron.
En réalité, on ne fait pas, comme pour toute entreprise ou particulier, la balance entre l’actif et le passif. Les traités européens ne considèrent que la dette "brute", ignorant tout actif. Elle ignore aussi la richesse de certains particuliers, qui ayant des créances sur l’Etat, peuvent aussi contribuer en proportion de leurs revenus exorbitants ou sont susceptibles d’être imposés largement sur un patrimoine immense douteusement acquis (vente bradée de sociétés d’Etat, comme la CGM, monopole abusif...). On s’aperçoit alors dans ledit document que l’actif, positif, de l’Etat a progressé malgré tout entre 1995 et 2003 (de 244 à 369 milliards). Par contre, on brade de nombreuses industries (hier Pechiney, Airbus, France Telecom, Renault, ELF... aujourd’hui c’est le tour d’EDF, de la SNCF, de la poste...) au profit d’oligarques nationaux et internationaux, détruisant les actifs de la nation, son indépendance et les conditions de vie honorables de la masse des travailleurs. Inversement s’est créée une classe de parasites oligarchiques, gaspillant un quart environ du PNB chaque année, et possédant près de la moitié du patrimoine du pays (environ 4000 milliards sur 8200 milliards d’euros pour moins de 400 000 personnes), ou le vendant à des prédateurs étrangers (fond KKR par exemple). L’université, le CNRS et les autres EPST, grâce à l’Europe et à la LRU, tomberont dans leur escarcelle.
Publié le jeudi 20 décembre 2007
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