mardi 4 décembre 2007

Libéralisme de l'enseignement supérieur, sauce italienne

Par Alain MARTY, Université Paris 5, le 16 février 2005

Tandis que chez nous, la LOP est remise sur le chantier, il est intéressant de jeter un coup d’oeil chez nos voisins. La Ministre de l’enseignement supérieur, Mme Moratti, est en train de faire discuter une nouvelle loi sur l’emploi dans l’enseignement supérieur devant le parlement italien. Les mesures principales sont les suivantes.

Les postes de ricercatore disparaissent
Les postes de ricercatore représentent actuellement la première étape de la carrière universitaire. Ce sont des postes de fonctionnaire, qui sont en principe faits pour la recherche, mais sont en pratique des postes d’enseignant-chercheurs. Au moment du recrutement par chaque université, en effet, une certaine charge d’enseignement est négociée (40 à 80 h par an), ce qui fait que les titulaires des postes de ricercatore font à la fois de la recherche et de l’enseignement. Ces postes sont supposés être remplacés par un ou deux contrats de 5 ans chacun (total max : 10 ans). Le 1er de ces contrats peut coïncider avec une thèse.

Les postes de professore associato disparaissent
Les postes de professore associato représentent la deuxième étape. Ils sont remplacés par des postes de responsabilité équivalente, mais sur contrats de 3 ans. Ces contrats sont renouvelables (une seule fois selon certains exégètes du projet de loi, deux fois selon d’autres).

Les postes de professore ordinario demeurent
Les postes de professore ordinario représentent actuellement l’aboutissement d’une carrière d’enseignant, comme les postes de professeur de première classe en France. Ces postes sont les seuls postes d’enseignants permanents qui soient conservés dans le nouveau système. Ils comportent une charge d’enseignement de 120 heures, et un total d’obligation de travail (qui peut se faire par direction de recherche etc) de 350 heures par an, ce qui est faible.

Au bout de la droite ligne libérale, le mur
Tout le monde est d’accord pour dire que la recherche et l’enseignement supérieur vont mal en Italie, et que cette situation est indigne des traditions et de la richesse du pays. La plupart des universitaires et des chercheurs italiens (p. ex.
http://www.osservatorio-ricerca.it) pensent que le projet Moratti, s’il est adopté, ne va qu’empirer les choses. Leurs arguments sont les suivants.
Suivant la nouvelle loi, il ne sera pas du tout nécessaire de passer par la voie professore associato pour devenir ordinario. On a l’impression que le nouveau système veut casser la progression de carrière actuelle, en recrutant des non-universitaires directement au niveau ordinario. La conséquence est prévisible : énorme déchet au niveau 40-45 ans, de vieux associato rejetés par le système.
Deuxième critique, qui dérive de la première : une sévère perte d’attractivité du système universitaire pour les étudiants les plus brillants. La recherche et l’enseignement supérieur italiens souffrent déjà d’une hémorragie de talents en direction des Etats-Unis ; on peut prévoir sans grand risque d’erreur une augmentation massive de la saignée.
Par ailleurs, la nouvelle loi va favoriser les doubles emplois et les statuts de consultant, au niveau ordinario. Le résultat devrait être un renforcement des liens entre universités et entreprises, au profit de ces dernières, ainsi qu’un affaiblissement de l’implication des professeurs dans la recherche, par suite d’une faible présence des professeurs dans les universités. Autrement dit, tandis qu’on affaiblit le lien enseignement-recherche, on renforce les liens entreprises-université. Enfin, on peut craindre que l’affaiblissement des universités publiques profite aux universités privées, qui font en Italie une concurrence sérieuse aux établissements publics.

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