vendredi 12 juin 2009

LETTRE OUVERTE A MME VALÉRIE PÉCRESSE, MINISTRE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE

L’influence des savants et des intellectuels est certes quelque peu en déclin dans notre nouveau modèle de société. Chercheurs, universitaires et intellectuels n’en continuent pas moins de creuser leur sillon, faisant fi du bruit et de la fureur extérieurs. Ce qui ne signifie pas qu’ils vivent dans des bulles hors du monde. Au contraire, ils sont plus investis que jamais dans la mission qui est la leur : contribuer avec d’autres à apporter à leurs concitoyens cet élément de pensée critique indispensable à la préservation de la démocratie. Grâce aux réseaux qu’ils tissent par la circulation de leur pensée et de leur parole, au-delà des préjugés, des mythes ou des frayeurs en vogue et de leur instrumentalisation, ils n’ont de cesse d’agir au nom de la liberté et de l’impar! tialité, quelles que puissent être par ailleurs leurs éventuelles appartenances religieuses ou affinités politiques. Nos sociétés, trop souvent soumises aux diktats des médias et de l’internet, ont besoin de cette parole libre, au seul service des principes de la démocratie, évoluant sans entraves et produisant du savoir, de la connaissance et de la réflexion. Il se trouve que dans notre pays la majorité des intellectuels appartient à la fonction publique, ce qui ne signifie pas qu’ils soient de quelque façon inféodés à des institutions ou au pouvoir politique, même s’il existe certes parmi eux des intellectuels organiques. Si la liberté est nécessaire pour penser et écrire, il va de soi que l’obligation de réserve qui s’applique en général à certaines catégories de fonctionnaires ne peut aucunement s’appliquer à leur cas, sauf à n’attendre d’eux que la reproduction d’une doctrine officielle et stérile. Aujourd’hui, la convocation devant une commission disciplinaire, de not! re collègue Vincent Geisser, chercheur au CNRS, accusé de n’avoir pas respecté cette " obligation ", constitue un signe supplémentaire et particulièrement alarmant de l’idée que les institutions de notre pays semblent désormais se faire de notre rôle. Devrons-nous donc soumettre nos articles, nos livres, nos prises de position publiques à l’approbation de leur censure, alors qu’aucune consigne ne devrait émaner d’elles si ce n’est celle de la rigueur intellectuelle et de la créativité qui accompagne toute recherche ? Quels compromis honteux devrons-nous accepter pour échapper à l’humiliation d’un conseil de discipline ? La France, pays des droits de l’homme et de la liberté d’expression, est-elle en train de perdre son âme ? Comment continuer à faire notre travail, à assumer pleinement notre vocation, sous la menace constante de la sanction ? Que sommes-nous ? De simples courroies de transmission des idées qui ont l’agrément de nos dirigeants et des institutions qui nous em! ploient, ou des hommes et des femmes autonomes exerçant leur métier lib! rement, en toute responsabilité, en toute honnêteté, et au service d’une recherche, d’une pensée et d’un savoir libres de tout carcan idéologique, n’ayant d’autre limite que la considération du bien commun ? L’obligation de réserve ne peut en aucun cas valoir pour les intellectuels, y compris lorsqu’ils sont fonctionnaires. Les y soumettre revient purement et simplement à les faire disparaître comme intellectuels, c’est ruiner la liberté dont ils ont besoin pour continuer leur oeuvre salutaire, indispensable à la vie normale d’un pays politiquement sain, et qui a besoin d’eux pour son équilibre. Ce qui arrive à notre collègue Vincent Geisser, qui a le malheur de travailler sur l’islam, sujet brûlant s’il en est, est d’une extrême gravité et interpelle tous les citoyens de ce pays. Le traitement indigne auquel il est soumis est une honte pour la profession et pour la France.

Pour signer : http://petition.liberteintellectuelle.net/

COLLECTIF POUR LA SAUVEGARDE DE LA LIBERTÉINTELLECTUELLE DES CHERCHEURS ET ENSEIGNANTSCHERCHEURSDE LA FONCTION PUBLIQUE

COMITÉ DE LANCEMENT
1. Ghislaine ALLEAUME, directrice de recherches au CNRS, directrice de l'IREMAM2. Jean-Christophe ATTIAS, directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études3. Etienne BALIBAR, professeur émérite à l’Université de Paris 10 Nanterre4. Nicolas BANCEL, professeur à l'Université de Strasbourg, détaché à l'Université de Lausanne5. Jean BAUBEROT, professeur émérite de la chaire Histoire et sociologie de la laïcité à l’Ecole pratique des hautes études6. Esther BENBASSA, directrice d’études à l’Ecole pratique des hautes études7. Daniel BENSAÏD, professeur de philosophie à l’Université de Paris 88. Pascal BONIFACE, géopolitologue, Université de Paris 89. Marie-Françoise COUREL, directrice d’études à l’Ecole pratique d! es hautes études,présidente honoraire de l’EPHE, ancienne directrice scientifique du département SHS du CNRS10. Denis CROUZET, professeur à l’Université Paris-Sorbonne (Paris 4)11. Alain DE LIBERA, professeur d'histoire de la philosophie médiévale à l’Université de Genève, directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études12. Christine DELPHY, directrice de recherche émérite au CNRS13. Éric FASSIN, enseignant-chercheur à l'École Normale Supérieure14. Nacira GUENIF, sociologue, maître de conférences à l’Université Paris Nord15. Edgar MORIN, directeur de recherche émérite au CNRS16. Laurent MUCCHIELLI, directeur de recherche au CNRS17. Denis PESCHANSKI, directeur de recherche au CNRS, ancien directeur adjoint du département SHS du CNRS 18. Roshdi RASHED, directeur de recherche émérite au CNRS, professeur honoraire à l'Université de Tokyo19. Olivier ROY, directeur de recherche au CNRS20. Vincent TIBERJ, chercheur au Centre d'Etu! des Européennes de Sciences Po et maître de conférence à Sciences Po21. Tzvetan TODOROV, directeur de recherche honoraire au CNRS22. Jérôme VALLUY, enseignant-chercheur, science politique, Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1, CRPS, TERRA)

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